383- Travail : pourquoi la souffrance est toujours là

      ... On nous parle beaucoup des policiers et des gendarmes : 446 décès en mission depuis 40 ans. Mais on ne nous dit rien sur les 2 accidents mortels du travail qu’il y a chaque jour en France, en moyenne ; 645 salariés du secteur privé sont décédés dans un accident du travail en 2021. C’est 70 fois plus que pour la police... 

            Demandons à un ouvrier de décrire son travail en détail : il va nous expliquer ce qu’on lui demande de faire ; il ne parle pas de ses vrais gestes, de celui qui se répète au point de faire mal à tel endroit du corps, ou celui qui demande un gros effort ; la souffrance au travail, l’ouvrier la tait, et la société l’ignore.

            On nous parle beaucoup des policiers et des gendarmes : 446 décès en mission depuis 40 ans. Mais on ne nous dit rien sur les 2 accidents mortels du travail qu’il y a chaque jour en France, en moyenne ; 645 salariés du secteur privé sont décédés dans un accident du travail en 2021. C’est 70 fois plus que pour la police.

            Une réflexion sur le sujet des conditions de travail nous ferait penser que, sans doute, on peut toujours faire mieux, mais que, tout de même, les choses vont plus ou moins en progressant.

            Malheureusement, ce n’est pas si simple. De très belles technologies ont beau être inventées, des connaissances médicales améliorées, il reste encore et toujours que dans l’entreprise, le travailleur est vu comme une dépense ; et il faut économiser sur la dépense. Voilà pourquoi nous nous retrouvons, partout, de moins en moins nombreux pour faire le même travail. Et que se passe-t-il alors ? Celui ou celle qui est malade, ou qui a un mal de dos, des épaules, du poignet, va moins s’arrêter, pour ne pas alourdir la tâche des collègues. A la rigueur, on pose un jour de congé. On évite d’aller voir le médecin.

            Résultat, le salarié se prive d’un remboursement de ses soins, et parfois d’une rente pour incapacité permanente. Ouvertement ou pas, l’entreprise exerce une grosse pression pour qu’on ne déclare pas un accident, ou qu’on le déclare sans arrêt. Il faut dire que si elle se fait prendre par la Sécurité sociale, l’amende qu’elle devra alors payer n’est que de 750 euros. Au total, selon un rapport de la Cour des comptes de 2021, c’est la moitié des accidents du travail qui ne sont pas déclarés dans le secteur privé.

             Combien d’entreprises ont développé la sous-traitance ? C’est là, et dans l’intérim, que les accidents avec arrêt sont les plus nombreux : deux fois plus qu’en moyenne. C’est qu’il est difficile d’utiliser son droit de retrait quand on est apprenti, en CDD. De nombreux jeunes sont franchement exploités. Plus le travail est précaire, plus il est dangereux.

            Les femmes sont moins touchées par les accidents graves ; c’est une bonne nouvelle. Oui, mais le nombre total d’accidents du travail a fortement grimpé pour elles, il est passé de 172 000 à 244 000 de 2001 à 2019 (plus 42%). Alors qu’il a baissé doucement chez les hommes, passant de 565 000 à 411 000 (moins 27%). C’est que les patrons n’anticipent pas trop les risques pour une vendeuse, ou pour une employée de centre d’appels. Dans le bâtiment, il y a plus de femmes, mais les matériels n’ont pas été adaptés pour elles. Le plus souvent, on ne décide de modifier le poste de travail qu’après un accident, après l’enquête de l’inspection du travail qui s’ensuit.

            Au total, hommes et femmes ensemble, le nombre d’accidents a donc baissé. Mais là encore, un semblant de progrès cache une détérioration : la gravité des accidents, elle, est au plus haut depuis vingt ans. En 2021, les accidents ont provoqué 48 millions de jours d’arrêt de travail. Et encore, ce chiffre énorme ne comptabilise que les 20 millions de salariés du privé. Et, comme toujours, ce sont les ouvriers, qui subissent les accidents graves ou mortels.

            Le travail reste dangereux, parce qu’il s’intensifie, partout, tout le temps. Chaque fois qu’on y regarde de près, on trouve que l’accident a eu lieu parce qu’il fallait travailler en urgence, très tard, le soir, ou tôt le matin, avec un effectif réduit.

            Sans en arriver à l’accident, le travail est dur, pour la grande majorité des travailleurs. En 2022, le nombre d’arrêts pour troubles psychologiques ou pour épuisement professionnel a doublé par rapport à 2016. Et la consommation de somnifères, d’anxiolytiques ou d’antidépresseurs a doublé chez les moins de 30 ans : fatigue, stress au travail. Le mal-être au travail est en train d’exploser. Selon les salariés, la cause en est que l’on n’a pas de reconnaissance de son travail, qu’on ne nous fait pas confiance, qu’on nous contrôle trop, qu’on ne nous laisse pas d’autonomie, bref qu’on nous demande l’impossible.

            Malgré tous les progrès techniques, d’organisation, la souffrance au travail ne recule pas sous le capitalisme : le pourcentage de ceux qui se sentent bien dans leur travail, vraiment engagés, n’est que de 1 travailleur sur 5. Une société digne de ce nom donnera toute sa place à ce besoin, au lieu de ne chercher qu’à profiter sur le dos du travailleur.

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